Quelle différence peut-on faire entre la couleur comme matière (peinture) et la couleur en multimédia (photographie, vidéo…) ?

 

La couleur, fortement subjective est présente partout où l’œil se pose, si tant est qu’il y ait un minimum de lumière. Car en effet, la couleur ne peut exister sans la présence de lumière, artificielle ou non. Si certains peintres (comme Soulages, « le peintre du noir ») considèrent le noir comme une couleur, c’est parce qu’il existe une grande différence entre langage artistique et langage technique, comme il existe de grandes différences entre la couleur picturale et la couleur « virtuelle ». En effet, le noir, quand il est utilisé par le peintre peut prendre une toute autre vie sous la lumière. Cette dernière, disait Soulages, quand le noir rencontre la lumière, « il la transforme, la transmute ».

Quand la couleur rencontre la toile, elle prend vie. Car elle est à la fois expression des sentiments de l’artiste et outil lié à la gestuelle qui permet toutes les interprétations. En effet, utilise t’on n’importe quel tube de peinture, qu’il vienne du supermarché du coin ou qu’il coute un bras pour son imparable qualité, de la même manière ? Quel rapport à la couleur, au pigment, quand celui-ci est de qualité ou ne l’est pas ? Cela pose la question, du point de vue de l’artiste, du prix qu’il met dans son matériel, un rapport singulier à son œuvre. La couleur sera-t-elle plus belle, plus expressive si elle est peinte sur une toile de qualité ? Quel prix pour le pigment ?

Outre ces questions matérielles, la couleur n’est-elle pas toujours liée à la gestuelle, à la réverbération de la lumière et aussi, à la manière dont nous la percevons ? Ne sommes nous pas tous différents dans notre manière de percevoir un rouge ou un bleu ?

Sur la question de la gestuelle, je pense que la couleur dépend beaucoup des techniques utilisées. Que l’on se serve d’un couteau, d’un pinceau ou des mains pour étaler sa peinture, les perceptions des couleurs ne seront pas les mêmes : les pigments pourront ou non prendre la lumière, devenir éclat ou ombre. Le peintre a un plus grand contrôle sur la couleur, s’il en maitrise la chimie et les mélanges. Il pourra plus librement décider d’une nuance que sur un ordinateur puisqu’il agit directement sur les pigments et non à l’aide d’un outil comme l’ordinateur, qui comporte ses propres mécanismes. Qu’en est-il également de la question de l’instinct, du hasard ? Le mélange des pigments n’est il pas lié à une perception subjective, proche du psychologique ? On « vit » la couleur ou on ne la vit pas. Certains n’ont pas une perception innée des assemblages des couleurs et il me semble que dans ce cas, l’ordinateur peut être un moyen très utile puisqu’il émet des propositions. Mais quand est-il alors de la création ? L’ordinateur comporte déjà toutes les données que l’on y inscrit : il est programmé. La création n’est elle pas le total contraire de cet ordinateur puisqu’elle passe par des médiums mille fois plus hasardeux : l’imagination, la pensée ? La création est pour moi concevoir quelque chose de nouveau, de jamais vu. Or, l’ordinateur est beaucoup moins instinctif.

Egalement, il me semble que l’écran d’ordinateur a sa propre luminosité, qui diffère selon les modèles et, si cette question est purement technique, cela voudrait dire que la manière dont l’artiste perçoit la couleur sur ordinateur ne dépend que du propre réglage de la luminosité de son écran, et non de celles des autres. Est-il alors possible de partager à plus grande échelle cette perception si celle des autres diffère ? Oui, par l’impression. En revanche, cette dernière comporte également ces propres problèmes techniques (puisque la couleur diffère également quand elle est imprimée) et nous pouvons dès lors compter un medium de plus entre nous et la couleur.

Le peintre n’a-t-il pas  un rapport beaucoup moins distancié avec la couleur ? La peinture est pour moi un outil naturel, beaucoup plus proche de la matière (puisqu’on peut dès lors souvent percevoir la couleur en trois dimensions) que ne le sont les ordinateurs qui ne proposent que des représentations « lisses » (puisqu’en deux dimensions) de la couleur. L’ordinateur et la peinture ont un point commun : des limites. La peinture se sature, l’ordinateur est programmé. La peinture est un medium entre notre pensée, nos actes et la toile. L’ordinateur est un medium entre notre cerveau, notre logique et le papier.

Il n’est pourtant pas ici question de faire l’apologie de la couleur en peinture mais bel et bien de relever les différentes caractéristiques de deux conceptions : celle beaucoup plus instinctive de la « nature » et celle très réfléchie de la technique.

J'ai mis Lucien ici parce que seule la vision de cette image peut m'égayer un peu.


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